Entre l’ici et l’ailleurs

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Par CLARISSE MAGNEKOU
21 avr. · 4 mn à lire
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Entre l'ici et l'ailleurs

Orpailleuse, je me suis retrouvée avec des lésions vaginales à cause du mercure

Je m’appelle Ofa. J’ai 27 ans. Je vis dans une petite localité perdue au cœur de la forêt équatoriale, à l’Est du Cameroun, à environ 400 km de la capitale.

Avant, nous vivions de l’agriculture et de l’élevage. Lorsque la fièvre de l’or a gagné notre localité, la plupart des gens se sont tournés vers la mine, censée être beaucoup plus rentable. Les jours de rentabilité sont globalement moins nombreux, mais c’est pénible de l’admettre, il faut s’accrocher à l’illusion que demain, on deviendra très riche.

 Chaque jour, pendant près d’un an, j’ai travaillé plongée dans une eau souillée au mercure. Plongée jusqu’au niveau de la taille. A mains nues, j’ai fouillé, lavé et tamisé les agrégats broyés, à la recherche de quelques pépites d’or. Mon amie Dip a fait pareil, son bébé de 6 mois attaché au dos. 

Lorsque « les petites blessures » ont commencé, là, en bas, je les ai minimisées. Cela ne pouvait pas être grave. Lorsque j’ai commencé à avoir des blessures brûlantes, insupportables, j’ai décidé de prendre le bus pour aller à l’hôpital. A cause de la saison des pluies, il m’a fallu 4 heures pour y arriver, la piste de terre étant impraticable à certains endroits, boueuse et trouée de nids de poule. J’ai pleuré une partie du trajet, la situation assise et les bonds du bus rendant le voyage carrément cauchemardesque. Les gens m’ont souhaité leurs condoléances, car lorsqu’on pleure en public au Cameroun, on est forcément en deuil.

Le médecin m’a expliqué qu’il y avait des traces de mercure dans ma vulve et que les orpailleuses empoisonnées au mercure comme moi sont légion. A cause de la honte qu’elles ressentent, certaines femmes viennent d’ailleurs le voir lorsque c’est déjà trop tard.

Le médecin m’a prescrit un traitement et m’a conseillé de ne plus retourner à la mine.

Lorsque je suis allée voir mon employeur pour lui demander de payer mon traitement, il m’a insultée, chassée et menacée : « Salope, dégage ! Je te tue si tu remets les pieds ici ! »

Tout le monde ici connait la portée de ce type de menaces et sait à quoi s’en tenir. Je n’ai donc pas insisté.

Je me retrouve désormais sans ressources, malade, avec deux bouches à nourrir. J’ai retiré mes enfants de la mine maintenant que j’ai compris à quoi je les ai exposés. Ils vont à l’école, très loin du village. Mes voisins se moquent de moi, ils ne comprennent pas que je choisisse la pauvreté et l’impose à mes enfants.

Mon époux, leur père, s’en est allé. « Une épouse malade, non merci. Je suis un homme… Maintenant tu peux comprendre que je n’ai pas d’autre choix que de chercher une autre épouse », m’a t-il lancé avant de se volatiliser.

 Mon amie Dip m’envie, au moins mon mari a eu la courtoisie de me prévenir. Alors même qu’elle n’était pas malade, mais parce qu’il n’aimait pas sa cuisine, le sien a commencé à découcher puis un beau jour, il n’est plus revenu. Depuis, elle élève seule leur bébé.

 Le directeur de l’école de mes enfants, qui passe ses journées à attendre désespérément des élèves devenus orpailleurs, a décidé de m’aider à condition que je l’aide à récupérer quelques élèves.

 Il m’a mise en relation avec une ONG qui protège l’environnement. La responsable de cet organisme s’insurge contre le recours massif au mercure alors que le Cameroun a ratifié la Convention de Minamata. Devant mes sourcils froncés, elle m’explique que cette convention vise à réduire les effets néfastes du mercure sur l’environnement et la santé humaine et qu’elle porte le nom de la baie de Minamata au Japon, qui a été dévastée par le mercure au milieu du XXe siècle.

 Je lui demande d’un air désespérée, les bras ballants : « Donc notre cas est très laid ? ». Elle reste silencieuse quelques instants avant de me répondre : « Pas si on se bat ensemble contre ces opérateurs miniers, contre la mauvaise gouvernance de l’industrie minière dans ce pays. »

Ensemble nous documentons ce qui est arrivé à notre localité. C’est une vraie catastrophe écologique. Nous n’avons presque plus un cours d’eau sain où pêcher nos poissons. Le mercure souille tout ce que nos ancêtres nous ont laissé. Les trous de plusieurs mètres de profondeur que laissent les opérateurs sur les anciens sites miniers font des victimes : des enfants, des adultes engloutis dans ces trous, ces « lacs de la mort ». Notre forêt est réduite à néant. La faune locale est modifiée.

 C’est une vraie urgence écologique. J’y ai participé et je le regrette profondément.

Je demande pardon à la nature. Je pense qu’il est temps que les opérateurs et les autorités en fassent de même et commencent à restaurer, réparer ce qu’ils ont détruit. Pour notre survie. Pour nos enfants.

Avec Dip, nous encourageons la constitution de coopératives d’orpailleuses. Nous sommes convaincues que seul un rapport de force collectif permettra de répondre efficacement à ces enjeux.