Entre l’ici et l’ailleurs

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Par CLARISSE MAGNEKOU
18 avr. · 4 mn à lire
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A l'Assemblée nationale, femme battue

Violences faites aux femmes. L'Assemblée nationale n'est pas à l'abri.

En pleine session parlementaire au Sénégal, deux élus peuvent se permettre, l’un de gifler une élue, l’autre de donner à celle-ci un coup de pied dans le ventre.

Ces actes ont été perpétrés le 1er décembre 2022, en pleine campagne annuelle soutenue par l’ONU « 16 jours d’activisme contre la violence basée sur le genre à l'égard des femmes et des filles » (qui a démarré le 25 novembre et pris fin le 10 décembre, journée internationale des droits humains). Ironie du sort !

  Gifler une députée, lui asséner un coup de pied, c’est gifler les représentants du peuple, c’est gifler la démocratie, c’est gifler les droits des femmes.

Ces actes de violence illustrent une fois de plus cette triste réalité : aucune sphère de la société ne peut se vanter d’être à l’abri du fléau des violences. Qui eût cru que même l’Assemblée nationale, cette institution qui se situe aux coeur de la démocratie, ne serait pas à l’abri, elle non plus?

  Ses agresseurs, élus de l’opposition, ont accusé madame Amy Ndiaye, députée de la majorité, d’avoir manqué de respect à leur chef religieux, qui n’est pas un élu mais une personnalité très influente au Sénégal.

 Comme souvent, les coups reçus, ce serait la faute à la victime ? La député l’aurait donc bien cherché ?

Madame Ndiaye a répondu elle-même NON, en ripostant à la gifle par le lancer d’une chaise. Elle a répondu elle-même NON en refusant de présenter les excuses publiques exigées d’elle.

Le président de l’Assemblée nationale a répondu NON en saisissant le procureur de la République.

  L’opinion publique au Sénégal comme à l’étranger a exprimé son indignation.

  On ne le répétera jamais assez, la violence n’est pas due à la victime mais à l’agresseur. Rien n’excuse les violences faites aux femmes. La lutte contre ces actes doit nécessairement passer par l’indignation, la honte qui change de camp, la justice. Cette lutte est nécessairement l’affaire de la société toute entière, y compris des hommes.

  Malheureusement les violences faites aux femmes demeurent un défi majeur pour le Sénégal comme pour beaucoup d’autres pays encore dans le monde : violence conjugale, viol, féminicide, harcèlement sexuel, exploitation sexuelle, mariage précoce, ou encore excision.

  Les Nations Unies les lient au système patriarcal persistant d’oppression des femmes par les hommes.

  Au Sénégal, 27% des femmes de 15-49 ans ont subi des violences physiques depuis l’âge de 15 ans. Si la violence faite aux femmes est la violation la plus répandue des droits humains, elle reste cependant la moins visible - (Source : OMS https://www.afro.who.int/fr/countries/senegal/news/agir-pour-proteger-les-filles-et-les-femmes-contre-la-violence-au-senegal).

 31 % des enfants sont mariés avant 18 ans et 8,5% avant 15%. Cela concerne 42905 filles par an dont 11764 mariées avant l’âge de 15 ans - Source Nations Unies, Département des affaires économiques et sociales, Division de la population (2017), Perspectives de la population mondiale. 

 Des pesanteurs socio-culturels

Des femmes sont prises au piège par la pression sociale, familiale, religieuse, l’injonction de respecter le « sutura » (culture du silence) et le mugn (le fait d’endurer la douleur avec patience), de ne pas salir l’« honneur » de la famille en dénonçant ou portant plainte contre les violences subies.

 Des pans encore discriminatoires dans la législation sénégalaise

Le Code de la famille de 1972 (article 152) consacre la « puissance maritale » sur la femme. La polygamie est autorisée et l’homme peut avoir jusqu’à quatre épouses (article 133). Le choix de la résidence familiale appartient au mari (article 153).

De telles dispositions constituent le terreau des stéréotypes sexistes, des inégalités entre les femmes et les hommes, des violences faites aux femmes dans la société sénégalaise.

 Toutefois, des avancées notables ces dernières années dans la lutte contre les violences

En matière politique, le Sénégal est un pays exemplaire pour la parité : plus de 44% de sièges pour les femmes à l’Assemblée nationale, soit la plus grande proportion de tous les pays de la région. Ces élues ont notamment joué un rôle essentiel dans le vote de la loi de janvier 2020 criminalisant le viol et la pédophilie.

  En outre, le pays est le seul de la sous-région à s’être doté d’une cellule « genre » dans tous les ministères, pour mettre en œuvre sa stratégie nationale intégrée contre les inégalités entre les femmes et les hommes (sur 10 ans) y compris donc les violences, la forme la plus aigüe des inégalités entre les femmes et les hommes selon l’ONU.

 Une société civile de plus en plus mobilisée 

Les organisations de la société civile interpellent les pouvoirs publics, impulsent des changements notamment dans le cadre normatif pour une législation plus protectrice des droits des femmes et permettant de mieux lutter contre les inégalités entre les femmes et les hommes. Elles lancent également des campagnes pour sensibiliser, faire évoluer les mentalités.

  Des initiatives privées se développent par ailleurs en direction des femmes victimes de violences, par exemple le centre Kayam ouvert seulement en juillet 2022 et qui croule déjà sous les demandes. Ce lieu d’accueil, d’accompagnement psychologique et juridique des femmes leur offre également des formations.

  Par ailleurs, grâce aux réseaux sociaux, aux mouvements mondiaux de libération de la parole des victimes, les boucliers ne cessent de se lever contre les violences, on entend les Sénégalaises scander de plus en plus Dafa Doy (« ça suffit » !)

 Clarisse Magnekou